Gènes
du développement oculaire
Patrick
Calvas
Service de Génétique Médicale, CHU de Toulouse, Hôpital
Purpan, 31059 Toulouse
L'œil
est une structure complexe dont les tissus dérivent de sources aussi
variées que la paroi du diencéphale, l'ectoderme de surface et
les cellules de la crête neurale.
Le développement oculaire devient visible vers la 4ème semaine
de vie embryonnaire par l'invagination des placodes optiques à partir
des parois latérales du diencéphale. La croissance de ces bourgeons
primordiaux vers l'ectoderme de surface forme les vésicules optiques.
Un contact étroit avec ce dernier induit l'invagination des vésicules
optiques qui se transforment en cupules optiques tandis que l'ectoderme situé
en regard s'épaissit, s'invagine et, forme la placode puis la vésicule
cristallinienne. La formation du cristallin et de la cornée se poursuivent
avec le comblement de la vésicule cristallinienne par les cellules épithéliales
provenant de la partie postérieure de cette structure. Les cellules naissent
d’un anneau germinatif situé dans la région ventrale, se
différencient en fibre cristallinienne au cours de leur migration, formant
des couches concentriques autour des fibres primaires de la ligne médiane,
induisant les sutures antérieures et postérieures du cristallin.
Ces cellules poursuivent leur différenciation, perdent leurs organelles
cytoplasmiques et deviennent transparentes. La formation de la cornée
résulte d'un processus qui dépend de l'induction initiale du globe
oculaire et de la formation concomitante du cristallin. Elle résulte
de la transformation de l’épiderme en une structure transparente,
stratifiée à partir de contributions cellulaires multiples et
qui possèdent une matrice extra-cellulaire composite, complexe. Initialement,
les cellules basales ectodermiques sécrètent des collagènes
qui constituent le stroma primaire. Ultérieurement, deux vagues de migration
cellulaire à partir de la crête neurale atteignent la cupule optique,
s’insinuant entre le stroma primaire et le cristallin, constituant l'endothélium
cornéen. Celui-ci, par des modifications chimiques successives, modèle
la matrice extra-cellulaire permettant la migration d'une seconde vague de cellules
mésenchymateuses en provenance de la crête neurale qui, une fois
la colonisation assurée provoque un rétrécissement du stroma
dont la déshydratation finale sous l’effet de la thyroxine forme
la cornée translucide.
La formation de l'iris, des corps ciliaires, de la rétine et du nerf
optique découle également de la cupule optique. Pendant la formation
du cristallin et de la cornée, on assiste à une profonde modification
de la cupule optique. Les deux couches de la cupule se différencient
vers deux voies différentes. Tandis que les cellules de la couche externe
produisent des pigments et formeront la couche pigmentaire de la rétine,
les cellules des lèvres au point de rencontre entre la rétine
pigmentaire et la neurorétine subissent une transformation en iris et
corps ciliaires. Les cellules de la couche interne prolifèrent intensément
et génèrent cellules gliales, neurones ganglionnaires, inter-neurones
et photorécepteurs pour former la neurorétine. Les axones des
cellules ganglionnaires de la couche interne de la rétine convergent
à la base de l'œil et cheminent le long de la fente optique qui
relie la cupule optique au diencéphale. Le comblement par les axones
de cette fente optique génère le nerf optique et induit les connexions
avec le système nerveux central.
Le
contrôle génétique du développement des composantes
de l'œil :
Le réseau des interactions géniques qui règle le développement
de l'œil humain reste actuellement fort mal connu. Des molécules
essentielles à son développement ont cependant été
identifiées, en particulier des facteurs de transcription. Environ 80
facteurs de transcription qui s'expriment dans l'œil en développement
ont été isolés. Une trentaine s'est révélée
essentielle au bon déroulement du schéma de développement
oculaire. La plupart de ces gènes ont été identifiés
grâce à l'existence de mutants naturels ou de mutations induites
chez l'animal de laboratoire. L'impact de leurs anomalies sur le développement
humain reste souvent très obscur.
Parmi ces gènes essentiels, gérant les grands processus d'induction,
on doit citer le gène PAX6, certains des gènes des BMP (Bone Morphogenetic
Proteins, BMP4 et BMP7) semblent également agir précocement permettant
la spécification précoce des cellules du cristallin autour duquel
la structure oculaire va se différencier.
Tous sont exprimés très précocement au cours du développement
oculaire et présentent des interactions essentielles avec les produits
de gènes du développement du système nerveux central comme
Sonic Hedgdehog (SHH). Leurs anomalies conduisent à des défauts
sévères du développement oculaire, anophtalmie, microphtalmie
extrême, malformations diverses dont l'impact dépasse le développement
de ce seul organe. Nous citerons à ce propos le phénotype pathologique
induit par les mutations du gène PAX6 dans leurs formes hétérozygotes
mais aussi homozygote qui souligne bien les interactions de ces gènes
avec le développement de l'encéphale. L’induction des progéniteurs
rétiniens sous l’sction coordonées des gènes SHH,
TGF-Beta, et des facteurs de croissance fibroblastiques conforte la notions
d’intervention majeures de nombreux gènes impliqués dans
la détermination du système nerveux central et l’étude
des modèles animaux comme celle des mutatnts naturels chez l’homme
permet de nouveau de reconnaître un rôle cental au gène PAX6.
De nombreux autres gènes participent au développement coordonné
des différentes structures oculaires :
- le développement du segment antérieur et ses anomalies : les
anomalies des gènes PITX2 et PITX3 sont respectivement responsables du
syndrome de Rieger, d'anomalies qui lui sont proches ainsi que du syndrome cataracte-glaucome.
Plusieurs gènes concourent d'ailleurs à l'expression de phénotypes
recouvrants, à titre d'exemples des malformations de Peters peuvent être
causées par des mutations de PAX6 comme de PITX2 ; les mutations du gène
FOXC1 peuvent être responsables du syndrome d'Axenfeld-Rieger tout comme
PITX2, EYA1, ou FOXE3. Les défauts du gène JAGGED1 impliqué
dans le syndrome d'Alagille génèrent aussi des anomalies du développement
de la chambre antérieure (Axenfeld, hypoplasie du stroma irien, micro-cornée...)
Cette situation complexe témoigne du rôle de ces gènes qui
codent pour des éléments de régulation modulant l’expression
d'autres gènes et non pour des protéines de structure.
Pour être moins complexe, la situation des cataractes congénitales
n'est pas simple et, en sus des formes syndromiques, une dizaine de gènes
sont identifiés qui appartiennent aux familles des connexines, des protéines
cristallines, à la protéine du filament perlé ou la ferritine.
Peu des gènes de glaucomes congénitaux ou infantiles sont identifiés
à ce jour mais on peut citer le gène de la protéine du
cytochrome P 450 (CYP1B1), ou le gène de la MYOCILLINE.
- les anomalies de développement du segment postérieur de l'œil
: les atteintes malformatives du segment postérieur (dans lesquelles
nous avons déjà cité les microphtalmies dans le cadre des
grands processus d'induction) : colobomes rétiniens, hypoplasies du nerf
optique, colobomes du nerf optique, dysplasies rétiniennes, peuvent résulter
d'anomalies génétiques. Il peut s'agir d'anomalies chromosomiques
avec les atteintes oculaires classiques des trisomies 13, trisomies 18, del18q,
del13q, del4p, dup22q11. Il peut s'agir d'anomalies héréditaires
des formes syndromiques (syndrome de Walker-Warburg, syndrome COFS, syndrome
de Goltz, syndrome de Lenz....). Dans de nombreux cas, l'existence de la malformation
oculaire est un des signes cardinaux de la reconnaissance du syndrome, dans
d'autres, elle n'est qu'inconstante et accessoire.
Les atteintes du nerf optique surviennent dans des syndromes moins complexes
et sont mieux identifiées. Ainsi, de rares observations de mutations
du gène HESX1 dans les hypoplasies optiques entrant dans le cadre des
dysplasies septo-optiques ont pu être décrites, ainsi que d’une
manière bien plus constante des anomalies du gène PAX2 dans les
syndromes rein-colobome ou des anomalies isolées du nerf et de la papille
optique.
Un certain nombre de gènes de dysplasies rétiniennes précoces
sont également identifiés, comme le gène de la maladie
de Norrie, de l'Incontinentia Pigmenti ou du syndrome de Walker-Warburg.
Nous n'évoquerons pas les anomalies dévelopementales décelable
uniquement à l’échelon cellulaire telles les amauroses congénitales
qui sont sans réelle composante malformative.
En pratique, l'apport de la génétique à la compréhension des mécanismes du développement oculaire reste incomplet. Les cascades d’interactions sont en cours de précision par l’utilisation de modèles animaux dont la superposition avec le modèle humain reste incertaine.